« Je ne voulais pas que mon fils grandisse dans cet environnement. »

Après avoir quitté une relation de violence, Sofia* ignorait comment elle et son fils iraient de l’avant. Avec le soutien d’un refuge pour femmes, elle a fait les premiers pas vers un avenir meilleur. Elle travaille maintenant à ce même refuge, où elle aide d’autres femmes à commencer le processus pour rebâtir leur vie. Histoire telle que racontée à Jessica Howard.

LE JOUR où mon mari a menacé de me casser un miroir sur la tête, j’ai su que je devais partir.

C’était pendant une dispute terrible. Il a pris mon téléphone quand j’ai essayé d’appeler le 911. J’ai réussi à prendre mon fils de trois ans et mon sac à main, et je suis sortie de la maison en courant jusqu’à la voiture. Il faisait nuit et j’étais en pyjama. Je n’avais même pas de chaussures.

Ça faisait longtemps que je voulais quitter mon mari, mais je ne savais pas comment faire. Il était devenu jaloux, contrôlant, et il était toujours en train de me rabaisser. Il pouvait regarder mon compte Facebook et me poser des questions du genre « C’est qui, lui? », et je devais m’expliquer encore et encore. Si je laissais mon bébé à la maison avec lui et que j’allais faire l’épicerie, il m’appelait après quelques minutes pour me demander « À quelle heure tu reviens? ».

Il savait que je voulais m’en aller, alors tout ce que je faisais lui paraissait louche. J’ai vécu avec le sentiment insurmontable que jamais rien ne le satisferait, qu’il allait être jaloux ou fâché d’une façon ou d’une autre.

Nous nous sommes mariés peu après mon arrivée au Canada, donc je n’avais pas de famille ou d’amis à moi. Mon mariage était toute ma vie. Mon ex-mari me rappelait toujours que j’étais dépendante de lui financièrement, et que je me retrouverais complètement seule si je le quittais.

À la naissance de notre fils, les choses ont dégénéré. Mon ex-mari me critiquait pour le temps et l’attention que je donnais à notre garçon, qui est autiste et a un TDAH. Une raison de plus de ne pas le quitter : comment allais-je pouvoir payer les programmes éducatifs dont mon fils avait besoin par moi-même? Je me sentais prise au piège.

Mais je savais aussi que je ne voulais pas que mon fils grandisse dans cet environnement, qu’il se sente comme je me sentais. C’est donc lui qui m’a donné la force d’agir : je devais m’en aller pour lui garantir un avenir différent.

La nuit où je suis partie, j’ai pris la voiture jusqu’au parc de stationnement de mon église et j’ai téléphoné à l’épouse du pasteur. Ils m’ont accueillie chez eux et m’ont aidée à trouver un refuge qui avait une chambre pour mon fils et moi. Nous y sommes restés cinq mois, à nous habituer tranquillement à notre nouvelle réalité. J’ai beaucoup pleuré durant cette période. J’étais rongée par la peur et la culpabilité. Mais les intervenantes me rassuraient et me disaient que j’avais pris la bonne décision pour mon fils et moi. Elles m’ont aidée à regarder en avant plutôt qu’en arrière. Ce soutien a été un élément clé de mon expérience.

Je pensais que les refuges étaient des endroits effrayants, mais tout a changé quand j’ai commencé à faire la connaissance d’autres femmes et enfants qui avaient aussi connu la violence. Mon fils s’est adapté et s’est mis à jouer avec les autres enfants. J’ai tissé des amitiés solides avec quelques autres mères hébergées. Étant donné que le refuge me fournissait ma propre chambre, et que je n’avais plus à gérer des conflits au quotidien, j’ai eu la sécurité et l’espace nécessaires pour réfléchir à ce qu’on allait faire et à comment j’allais subvenir à mes besoins et à ceux de mon fils.

Les employées du refuge m’ont mise en contact avec une agente immobilière, et nous avons entamé la vente de notre maison. Ç’a été difficile au début parce que mon ex-mari refusait de déménager. Il a fini par partir, et mon fils et moi sommes retournés vivre dans la maison. Ça n’a pas duré longtemps, car mon ex-mari est revenu et j’ai dû appeler le 911. Par la suite, chaque fois que j’entendais un bruit, je pensais qu’il essayait d’entrer.

Quand nous avons vendu la maison, j’ai pu rembourser quelques dettes et louer un appartement. Nous nous sentions de nouveau en sécurité, et j’ai pu poursuivre mon processus de guérison. Tous les matins, je ressentais une énorme gratitude. Je me souviens d’avoir pensé : « Je peux enfin respirer, je peux dormir sur mes deux oreilles, je peux faire tout ce que je veux sans avoir peur de déclencher une dispute. »

En quittant le refuge, j’avais un fort désir de redonner ce que j’avais reçu. L’expérience avait changé ma vie. Mais en même temps, j’étais occupée avec mon fils et j’essayais encore de trouver ce que j’allais faire comme travail.
J’ai fini par retourner à l’école pour devenir travailleuse communautaire. À l’étape des stages, j’ai réalisé : « C’est ma chance de retourner au refuge! » Le stage terminé, j’ai eu l’occasion d’y travailler comme réceptionniste. Ensuite, un poste à temps plein d’intervenante auprès des femmes s’est ouvert et je l’ai eu.

Grâce à ce que j’ai moi-même vécu, j’ai de l’empathie pour les femmes du refuge et je comprends la douleur et la peur qu’elles ressentent. Parfois, pour les mettre en confiance, je leur raconte une petite partie de mon histoire. Je leur dis qu’elles vont trouver en elles une force insoupçonnée.

Maintenant, je suis fière quand je pense à ma vie. Je suis capable de subvenir aux besoins de mon fils. J’ai un nouveau conjoint qu’il a accepté comme beau-père. La famille s’est agrandie autour de nous et nous nous sentons aimés et entourés. Tout ce que j’ai traversé m’a rendue plus forte et plus confiante. Je suis heureuse, mais je veux en faire encore plus pour aider les femmes qui ont connu la violence tandis qu’elles rebâtissent leur vie.

Le refuge qui a hébergé Sofia et où elle travaille maintenant a reçu du soutien de la Fondation canadienne des femmes.

*Le prénom a été changé par souci de confidentialité.

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