En tant que femme noire, en tant que survivante et en tant qu’experte des violences genrées, Marlihan partage comment elle été témoin des réactions racistes et des préjugés biaisés qui existent autour de la violence basée sur le genre. Son constat: un manque de ressources, et un manque de visibilité qui font en sorte que plusieurs survivantes ont peur d’être revictimisée et de ne pas être crues. Dans cet épisode, Marlihan nous fait mieux comprendre les différentes formes d’oppressions qui peuvent s’ajouter à la violence genrée et nous explique comment en tenir compte pour offrir le meilleur soutien possible à une survivante. La violence basée sur le genre n’est pas vécue de la même manière par tout le monde. Il y a des discriminations comme le racisme, le capacitisme, l’hétérosexisme et la transphobie qui font en sorte que certaines personnes sont plus à risque de vivre de la violence. Aujourd’hui, Marlihan est instigatrice du projet Hood Stop les violences sexuelles à Montréal-Nord et coordonnatrice de programmes et de l’engagement communautaire à l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia. Elle nous confie ce qui l’a poussée à faire le travail qu’elle fait aujourd’hui et nous parle de l’importance de la reprise du pouvoir dans la guérison.

MARLIHAN : J’ai entendu des expériences de femmes qui ont peur de quitter le contexte violence conjugale parce qu’elles n’ont pas de statut migratoire mais leur enfant, lui, est canadien. Donc elles ont peur de perdre la garde de leur enfant parce qu’elles n’ont pas la citoyenneté et qu’elles peuvent être renvoyées alors que l’enfant, en tant que Canadien, resterait ici.
Il y a vraiment beaucoup de situations qui font en sorte qu’une personne survivante ne va pas se sentir en sécurité pour chercher de l’aide. C’est important de comprendre ces contextes-là et les barrières qui existent pour bien pouvoir les soutenir.

Introduction

Narration ZOÉ : Je m’appelle Zoé Gagnon-Paquin, et vous venez d’entendre un extrait de ma conversation avec Marlihan Lopez, que je rencontre dans cet épisode. Marlihan porte plusieurs chapeaux dont ceux de militante, organisatrice communautaire, formatrice et consultante. Elle est aussi survivante de violence basée sur le genre.

En tant qu’experte, Marlihan nous parle des barrières systémiques auxquelles font face les survivantes de violences genrées qui sont aussi des personnes racisées. Dans cet épisode, Marlihan nous fait mieux comprendre les différentes formes d’oppression qui peuvent s’ajouter à la violence genrée, et nous explique comment en tenir compte pour offrir le meilleur soutien possible à une survivante.

ZOÉ : Bonjour Marlihan, merci d’être ici.

MARLIHAN : Bonjour Zoé. Merci pour l’invitation.

ZOÉ : Marlihan, tu es instigatrice du projet Hood-STOP les violences sexuelles à Montréal-Nord. Tu es aussi coordonnatrice de programme et de l’engagement communautaire à l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia. Tu agis en tant que consultante pour soutenir des organismes ou des projets qui travaillent à mettre fin à la violence basée sur le genre. Merci de partager ton expertise avec nous.

MARLIHAN : Merci.

ZOÉ : J’aimerais comprendre à partir de ton expérience, comment bien soutenir, et de façon sécuritaire, une personne qui vit de la violence basée sur le genre. Mais d’abord, je voulais commencer par te demander pourquoi est-ce que c’est important pour toi de faire ce travail de soutien face à la violence basée sur le genre?

MARLIHAN : Pour moi, c’est important ce travail de soutien, parce qu’en tant que survivante, j’aurais aimé avoir plus d’écoute et pouvoir me sentir en sécurité pour partager mon expérience. Donc je pense que mes expériences personnelles m’ont poussée à faire le travail que je fais aujourd’hui. Surtout en tant que femme noire, je vois le manque de ressources, le manque de soutien qui existe, le manque de visibilité par rapport à nos expériences. Donc ça m’a poussée à vraiment faire ce travail en espérant que d’autres survivantes se sentent en sécurité et puissent vraiment rompre avec le cycle de violence et trouver le soutien que ces personnes méritent.

ZOÉ : À quoi ça peut ressembler la violence basée sur le genre?

MARLIHAN : Quand on parle de violences genrées, que ce soit la violence à caractère sexuel, la violence conjugale, la violence psychologique dans le cas d’un couple, ça peut prendre vraiment beaucoup de formes. Donc c’est très important d’en avoir une compréhension plus large… Parce qu’une chose malheureuse qui est venue avec les conversations médiatiques autour de la violence sexuelle, c’est qu’on tend à se concentrer sur le type d’expérience de communautés bien précises.

Souvent, quand il y a eu les dévoilements dans le contexte MeToo, dans les médias, on voyait beaucoup certains types d’expériences. Ce que je dis souvent, c’est que le fait de viser un seul type d’expériences, celles des personnes qu’on juge comme étant de bonnes victimes, ça ne fait qu’aliéner d’autres personnes qui vivent de la violence, et les empêcher de vraiment rompre le silence et chercher du soutien, parce que leurs expériences ne correspondent pas à cette violence-là.

Narration ZOÉ : La violence basée sur le genre n’est pas vécue de la même manière par tout le monde. Il y a des discriminations comme le racisme, le capacitisme, l’hétérosexisme et la transphobie qui font en sorte que certaines personnes sont plus à risque de vivre de la violence. Marlihan identifie ces facteurs de discrimination comme des « barrières ».

Barrières – racisme systémique

ZOÉ : Les barrières auxquelles font face les personnes qui vivent des violences genrées ne sont pas toutes pareilles. Tu travailles avec des communautés noires à Montréal. Qu’est-ce qu’on doit savoir pour mieux comprendre c’est comment faire face à la violence genrée quand il peut y avoir plus d’une forme d’oppression en jeu?

MARLIHAN : En tant que femme noire et ayant travaillé avec des communautés noires, je pense que ce qu’il faut comprendre d’abord, c’est que nos communautés font face à du racisme systémique. Et puis, la manière dont les personnes noires sont représentées dans les médias, en soi ça constitue des barrières pour les survivantes qui voudraient chercher de l’aide. Quand on pense à l’hypersexualisation des femmes noires, à la manière dont les hommes de nos communautés sont représentés, aux violences policières, su fait qu’il n’existe pas vraiment de services qui soient sécuritaires pour nos communautés, dans le cas de la violence genrée, tout ça, ça constitue des barrières au dévoilement d’une agression, des barrières dans la recherche de soutien.

MARLIHAN : J’ai été témoin de réactions racistes ou de préjugés biaisés qui existent autour de la violence quand il s’agit, par exemple, d’une femme noire. Ces réactions et ces biais vont faire en sorte que beaucoup de survivantes noires vont pas chercher de soutien, vont rester dans un contexte d’isolement parce qu’elles ont peur d’être revictimisées, de ne pas être crues. C’est des choses qu’il faut déconstruire. Il faut déconstruire les biais qui font qu’on va être moins poussé à agir quand il s’agit de certaines personnes.

Narration ZOÉ : Selon plusieurs études, les femmes racisées qui signalent des actes de violence sont souvent prises moins au sérieux par le système de droit pénal, et les auteurs de ces actes reçoivent habituellement des peines moins sévères.

Marlihan a écrit dans une lettre publiée dans Le Devoir en 2017 : « Il faut confronter les stéréotypes et préjugés qui font en sorte que certaines expériences ne sont pas considérées comme légitimes, et lutter contre les systèmes d’oppression qui rendent certains groupes des femmes plus vulnérables ».

ZOÉ : Tu parles de guérison, de reprendre son pouvoir… Tu as mentionné aussi avoir vécu la violence. Qu’est-ce que tu aurais trouvé soutenant qu’on te dise pour aller vers la guérison et une reprise de pouvoir?

MARLIHAN : Moi, dans le contexte de mon expérience, j’ai un enfant qui maintenant est ado, mais dans ce temps-là, il était petit, puis il est dans un contexte de handicap. Tout ça, je pense que c’était des barrières. Souvent les personnes me disaient, quand j’ai osé dire que ça allait pas (je donnais pas trop de détails parce qu’il y a la honte qui fait que souvent, on ne veut pas vraiment dévoiler notre histoire par peur du jugement), quand j’ai dévoilé que j’avais des problèmes, souvent les personnes me disaient « Mais non, comment ça, tu as un enfant, et en situation de handicap, tu dois faire des efforts ». Tu sais, avec un enfant en situation de handicap, toute seule, mère monoparentale, c’était très difficile. Il y avait beaucoup de jugements. Moi ce que j’aurais aimé vraiment, c’est avoir de l’écoute. J’aurais aimé que mon témoignage ne soit pas accueilli avec avec du jugement.

Je pense que le plus important, c’est de ne pas avoir de jugement. Et puis, écouter. Souvent, on va aller direct à essayer de trouver des solutions, mais la personne a d’abord besoin d’être écoutée.

Offrir un bon soutien

ZOÉ : Merci pour ton partage. Il y a une chose que j’ai apprise en travaillant sur cette série balado, c’est l’importance de s’assurer que le soutien qu’on offre et que tout le processus d’accompagnement soit dirigé par la survivante. À quoi ça ressemble à tes yeux d’offrir un soutien qui est dirigé par la survivante? Et pourquoi c’est si important?

MARLIHAN : La reprise de pouvoir. C’est très important que ce soit dirigé ou centré sur la survivante si on veut que la personne puisse reprendre son pouvoir.

Je pense qu’une chose qui est mal comprise, c’est ce que la violence genrée peut faire à une personne. On comprend pas que les expériences ne vont pas être les mêmes, les réponses ne vont pas être les mêmes. Je pense que souvent, on comprend pas la réaction ou les actions des personnes survivantes. Il peut y avoir de la honte, la crainte de ne pas être crue, la peur. Et puis si on a pas le soutien dont on a besoin, ça peut nous empêcher de chercher de l’aide. Ou si on n’a pas les outils, les ressources, ça peut nous faire rester dans certaines situations que d’autres vont juger non sécuritaires, c’est un des exemples.

MARLIHAN : C’est difficile pour n’importe qui de dévoiler une violence genrée à cause, comme je l’ai mentionné, de la honte que ça amène. Aussi, souvent, il y a de la violence psychologique qui vient dans le contexte de certaines violences genrées. On peut penser qu’on mérite d’être dans cette situation, qu’on l’a cherché. Aussi il y a un manque de compréhension. Je donne un exemple. Les personnes qui me connaissent disent que je suis une personne très sociale, avec un caractère fort. Je semble être une femme forte, donc quand les personnes apprennent que je suis une survivante de violence conjugale, de violence à caractère sexuel, elles font « Non, je ne peux pas croire, tu t’es tellement imposante comme personne, tu as tellement l’air d’une femme forte. Je peux pas croire que tu as déjà été dans un contexte de violence conjugale ».

Ce genre d’attitude, ces idées préconçues, en soi, sont une barrière au dévoilement. C’est le genre d’attitude envers la violence genrée qui empêche beaucoup de personnes de dévoiler ou de chercher du soutien, parce qu’il y a trop de stéréotypes autour de qui est une victime, qui est une survivante.

MARLIHAN : Vu qu’il n’existe pas une grande diversité dans les organismes qui offrent du soutien en matière de violence conjugale, je pense que c’est souvent nécessaire d’avoir des services qui sont offerts par et pour des personnes issues de la diversité. Souvent, j’ai eu l’occasion d’organiser des cercles de guérison destinés par exemple aux femmes noires, pour qu’elles puissent partager leurs expériences, avoir du soutien sans jugement.

Et puis on a donné de l’espace pour les partages, où les femmes qui se sentaient en sécurité pouvaient partager. On a finalisé avec des activités d’écriture. Ce genre d’activités peut prendre diverses formes. Des fois, c’est l’écriture, ça peut être vraiment aidant. Ça peut aussi être des ateliers d’art-thérapie, du yoga. On sait que souvent on internalise ces violences, ces traumatismes, dans nos corps, et comment ça affecte nos corps. Des sorties dans la nature, ça aussi c’est très aidant. Donc en offre une diversité d’activités pour les personnes qui viennent dans les cercles.

MARLIHAN : Malheureusement les services « mainstream » vont être teintés par des pratiques coloniales, des pratiques qui vont pas être aptes à desservir nos communautés, que ce soit les communautés autochtones, que ce soit les communautés noires. Le fait que souvent, il y a beaucoup de rigidité par rapport à ce qu’on pense être la guérison, ce qu’on pense être du soutien va faire en sorte que beaucoup de personnes ne vont pas bénéficier des services.

Parce qu’on sait qu’elles ne vont pas aller à des ressources « mainstream » en violence genrée. Je l’ai vu, j’ai beaucoup travaillé avec des organismes communautaires, par exemple, qui desservent les communautés noires. J’ai donné des ateliers de sensibilisation sur la façon d’accueillir un dévoilement. Je l’ai fait parce que je savais que les femmes qui allaient dévoiler leur histoire n’iraient pas vers un service « mainstream » en violences à caractère sexuel ou en violence conjugale.

Donc il faut vraiment mieux outiller une plus grande diversité d’organismes pour pouvoir accueillir les personnes qui vont dévoiler une agression à caractère sexuel ou une expérience de violence genrée.

Si on bâtit pas ce lien communautaire, je pense que ça va être très difficile pour nous d’intervenir dans le contexte. On ne peut pas se contenter de référer la personne à un service. Il faut vraiment qu’on puisse agir dans nos communautés pour interrompre la violence. Il faut vraiment s’attarder à ce que la personne a besoin pour entamer sa guérison. Ce n’est pas la même chose pour tout le monde. Pour certaines communautés, ça va ressembler à quelque chose et pour d’autres, ça être autre chose. L’important c’est vraiment de croire et de penser qu’il peut y avoir une vie après la violence, qu’il peut y avoir une guérison, et qu’on la mérite.

Incompréhensions face à la différence

ZOÉ : Dans ce que tu as vu professionnellement et aussi personnellement, c’est quoi les incompréhensions les plus courantes par rapport à la violence genrée?

MARLIHAN : Dans le contexte des violences genrées, il y a de multiples types de violence, comme la violence économique. Si on parle de violence genrée dans le contexte conjugal, il y a souvent cette violence économique. La personne peut être en situation de dépendance envers celle qui la victimise. Et puis il faut comprendre que ce n’est pas toujours facile de quitter un contexte de violence. J’ai beaucoup travaillé avec des personnes qui font face à des situations liées à leur parcours migratoire, des femmes qui n’ont pas encore un statut migratoire qui leur permette de reprendre leur pouvoir, surtout s’ il y a un enfant.

J’ai entendu des expériences de femmes qui ont peur de quitter le contexte violence conjugale parce qu’elles n’ont pas de statut migratoire mais leur enfant, lui, est canadien. Donc elles ont peur de perdre la garde de leur enfant parce qu’elles n’ont pas la citoyenneté et qu’elles peuvent être renvoyées alors que l’enfant, en tant que Canadien, resterait ici.

Il y a vraiment beaucoup de situations qui font en sorte qu’une une personne survivante ne va pas se sentir en sécurité pour chercher de l’aide, alors c’est important de comprendre ces contextes-là et les barrières qui existent pour bien pouvoir les soutenir.

ZOÉ : Donc, peut-être, offrir différents types de soutien.

MARLIHAN : Oui, je pense que c’est très important. Il existe des ressources en violence genrée, et il faut que ces ressources-là soient aussi mieux outillées pour pouvoir répondre à ces différents types de contexte. Souvent, ce que je voyais, travaillant dans le milieu des violences à caractère sexuel, travaillant par exemple avec les CALACS, c’est que les CALACS n’étaient pas nécessairement outillés pour répondre dans un contexte où il y avait une situation migratoire.

Narration ZOÉ : Les CALACS dont parle Marlihan sont un regroupement de centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel et la violence faite aux femmes.

MARLIHAN : Ça faisait appel à une expertise qui dépassait les ressources en matière d’agressions à caractère sexuel. Alors il fallait faire appel à d’autres ressources. Et s’il faut référer cette personne survivante à une autre ressource, cett personne doit dévoiler une nouvelle fois son histoire. C’est une charge très lourde pour les personnes survivantes qui se sentent souvent dépassées par leur situation.

Donc c’est important de vraiment mieux outiller les ressources qui existent aussi. Et puis pour les personnes individuelles qui vont venir en soutien, c’est vraiment de comprendre comment un contexte peut être très compliqué par d’autres contextes comme le statut migratoire, la race, la classe, le handicap.

Narration ZOÉ : La violence genrée existe dans toutes les communautés, cultures et groupes confessionnels, à tout âge et dans tous les groupes de revenus. Cependant, certaines femmes sont particulièrement en danger.

Surreprésentation des femmes blanches

ZOÉ : Qui sont les personnes qui ne sont pas assez représentées quand on parle de violence genrée?

MARLIHAN : Quand on parle de violence à caractère sexuel ou de violence genrée en général, ce qu’on voit, c’est une analyse très binaire. On parle des femmes, mais pas de toutes les femmes, on parle surtout des femmes blanches. Ici au Québec, on parle surtout des femmes blanches, canadiennes-françaises, citoyennes, sans handicap. On oublie souvent d’autres communautés qui font face à un risque systémique de victimisation, comme les communautés autochtones. Mentionnons aussi les femmes noires, les personnes en situation de handicap, les communautés LGBT, surtout des femmes trans.

La liste est longue et je ne veux pas oublier personne, mais il y a vraiment un travail à faire et il faut qu’on fasse mieux par rapport aux ressources qui existent, par rapport à la sensibilisation qu’on offre à la population, par rapport aux personnes qui sont représentées comme survivantes ou qui sont dans les conversations médiatisées autour de la violence genrée.

Souvent, le fait qu’on ne s’identifie pas à la personne survivante ou qu’on ne se reconnaisse pas dans la représentations des personnes survivantes, ou dans la représentation d’expériences de violence à caractère sexuel, ça va faire en sorte qu’on ne va pas se voir comme une personne survivante. Et ça peut être une barrière à la guérison.

Autrement dit, il n’existe pas de « taille unique » dans les manières de répondre à la violence genrée. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il y a une diversité de manières d’y répondre et de soutenir une personne survivante. C’est dur de dire comment on peut soutenir la personne, quelle est la meilleure façon de la soutenir, parce que ça dépend de chaque personne.

Les risques ne sont pas toujours les mêmes, ni les ressources dont on dispose. Les personnes ne sont pas toujours les mêmes. L’isolement, les barrières auxquelles la personne peut faire face ne sont pas toujours les mêmes. C’est pourquoi c’est très important de vraiment être à l’écoute, parce qu’il n’y a pas une seule bonne manière de répondre qui va servir dans toutes les situations de violence genrée.

Ce qui est important de garder en tête pour les communautés qui font face à de multiples barrières systémiques au dévoilement ou dans la recherche de soutien, c’est que dans beaucoup de cas, il n’existe malheureusement pas de ressources sécuritaires pour accueillir ces communautés.

Donc si on veut vraiment être impliqué dans la lutte contre les violences genrées, il faut travailler sur les ressources, il faut travailler sur les options pour que ça ne soit pas aussi long avant qu’une personne survivante puisse sortir d’un contexte de violence. Si on ne s’occupe pas de ces barrières-là, ça va être très difficile de faire en sorte qu’une personne se sente en sécurité ou capable de chercher du soutien, ou de sortir d’une contexte de violence.

La communauté est vraiment clé. Mais il faut aussi, peut-être, se demander ce qu’on veut dire par communauté. C’est très dur de soutenir une personne qui est en contexte de violence conjugale, par exemple, si tu connais même pas tes voisins. Souvent, il va y avoir eu des témoins de violence, d’un contexte de violence conjugale, mais qui ne savaient pas trop quoi faire. Des fois, la seule option qui s’offre, quand on ne connaît même pas nos voisins, c’est peut-être d’appeler la police. Mais on sait qu’appeler la police, ça peut être très dangereux pour certaines personnes survivantes. Donc il faut chercher une manière de bâtir cette communauté.

Il y a des manières sécuritaires d’intervenir, mais il faut d’abord trouver la situation inquiétante. C’est un des premiers problèmes qui se pose quand on représente une seule sorte de violence, ou une seule sorte de survivantes ou victimes. Ça nous empêche d’intervenir, parce qu’on ne voit pas. On va se demander « Est-ce que c’est vraiment de la violence? », parce qu’on n’a pas été sensibilisé à ce genre de violence, ou encore « Qu’est-ce que je peux faire pour intervenir? »

Sensibiliser les communautés

ZOÉ : Comment est-ce qu’on peut garder ça à l’esprit pour orienter la façon dont on offre un soutien en tant qu’ami.e.s, familles ou collègues, à des personnes qui vivent de la violence genrée et du racisme?

MARLIHAN : D’abord, il faudra qu’on se sensibilise vraiment plus sur les multiples formes que peuvent prendre la violence genrée. Pour que les personnes puissent chercher de l’aide, il faudrait d’abord que les représentations qu’on voit, et que les exemples qu’on voit ne concernent pas juste un type de survivantes, qu’il ne concernent pas juste, je vais être claire, des femmes blanches. Donc il faut commencer par avoir une meilleure compréhension de comment la violence genrée affecte de multiples communautés. Et il ne faut pas que la charge de faire cette éducation-là repose sur les personnes survivantes.

Les personnes qui font de la sensibilisation, et celles qui reçoivent du financement dans les institutions pour faire de la prévention, devront s’attarder à la diversité qui existe en termes de personnes vivant des violences genrées ou survivant à ces violences.

MARLIHAN : Je m’investis beaucoup dans ce qui vise à construire, bâtir, développer des ressources qui soient sécuritaires pour les communautés qui, aujourd’hui, risquent d’être revictimisées dans les ressources « mainstream ». Je travaille beaucoup sur la prévention parce que je trouve que souvent, on veut juste réagir à la violence, on veut la gérer mais on n »investit pas dans des ressources ou des actions qui peuvent être menées à long terme.

On parle d’une culture de violence sexuelle, d’une culture de violence genrée qui existe dans nos sociétés. Pour moi, la prévention, ça ne veux pas dire appeler la police, ça veux dire éducation populaire, éducation à la sexualité dans les écoles, ça veux dire briser les tabous dans certaines communautés par rapport à la violence genrée, ça veux dire responsabilisation. Pour moi, la prévention est clé.

Hood-STOP – barrières systémiques

Narration ZOÉ : La prévention, c’est justement la mission de Hood-STOP les violences sexuelles, un mouvement dont Marlihan est l’une des instigatrices.

MARLIHAN : Pour moi, un exemple inspirant, c’est par exemple tout le travail qui se fait actuellement à Montréal-Nord dans le contexte du projet Hood-STOP les violences sexuelles. Tu as une équipe qui travaille sur un programme de prévention qui va s’adresser aux jeunes pour les sensibiliser à la violence genrée, pour leur donner des outils pour faire cesser la violence, pour en finir avec elle. Ce programme de prévention est censé leur donner des outils pour identifier la violence genrée quand elle se produit, mais aussi rompre avec les tabous autour de la violence sexuelle, et leur redonner leur pouvoir et leur agentivité. Parce que souvent, on enlève aux jeunes leur agentivité. Pourtant, les jeunes ont la capacité d’interrompre la violence genrée et ils ont la capacité de vraiment se soutenir. Donc je pense que ce programme de prévention va leur donner des outils pour pouvoir reprendre leur pouvoir et vraiment agir dans leur communauté. Ça, c’est très important si on veut faire des gains solides dans la lutte contre les violences genrées.

Le programme Hood-STOP veut aider à montrer que la violence sexuelle n’existe pas en vase clos, et que le racisme systémique ou la la classe sociale, par exemple, peuvent vraiment avoir un impact sur la façon dont les personnes survivantes pourront accéder à des services ou chercher du soutien, et puis nommer les dynamiques qui font que les personnes de ces communautés vont faire face à des barrières systémiques pour accéder à des services. Parce que tous ces contextes vont avoir un impact non seulement sur la manière dont une survivante va pouvoir chercher du soutien, mais aussi sur la lutte contre la violence sexuelle.

Donc si on ne s’attaque pas aux autres sources de vulnérabilisation comme la pauvreté, la violence, le racisme systémique, je ne pense pas qu’on va vraiment réussir à faire des progrès.

Progrès

ZOÉ : Dans ton travail de militante contre la violence genrée, quels progrès vois-tu qui te donnent de l’espoir?

MARLIHAN : Le progrès que je constate, c’est de voir d’autres femmes noires, par exemple, qui font le travail. Quand j’ai commencé, je me sentais comme si j’étais une des seules qui faisait ce travail, parce que mes collègues dans les milieux de lutte contre les violences à caractère sexuel, elles étaient toutes blanches. Aujourd’hui, je vois d’autres femmes noires qui font le même travail, qui oeuvrent dans le milieu de la violence genrée et qui font des choses extraordinaires. Pour moi, ça, c’est un progrès, parce que ça veut dire qu’il va y avoir des personnes qui connaissent les barrières auxquelles on fait face. Il va y avoir des personnes qui comprennent que la violence genrée ne peut pas être comprise en dehors de l’intersection avec d’autres violences comme le racisme, le colonialisme, les capacitisme. Ça me donne l’espoir qu’on va avoir de meilleures ressources pour les personnes qui vivent une expérience de violence genrée.

ZOÉ : Je te remercie, vraiment, pour ta présence et ton partage.

MARLIHAN : Merci à toi.

Appel à l’action

Narration ZOÉ : Pour me préparer pour le projet balado et m’outiller sur comment répondre à un appel à l’aide, j’ai utilisé les ressources en ligne de la Fondation canadienne des femmes. Vous aussi, vous pouvez apprendre comment aider : participez au parcours d’apprentissage et suivez le mini-cours en ligne de la Fondation pour vous sentir en confiance et prêt.e à soutenir quelqu’un dans votre vie. Lorsque vous savez comment réagir aux signes d’abus, vous pouvez changer l’histoire.

Passez à l’action en vous rendant à l’adresse repondrealappelalaide.ca.

La série balado Appel à l’aide a été produite et animée pour la Fondation canadienne des femmes par Zoé Gagnon-Paquin.

Réalisation : Maude Petel-Légaré

Recherche : Nancy Pettinicchio

Composition musicale et post-production : Virage sonore Kevin Gironnay et William Maurer

Ce projet a été subventionné par Femmes et Égalité des genres Canada.  WAGE Canada logo