Au Cégep, Mélanie a été agressée sexuellement par un membre de l’équipe de football de l’école. En plus de devoir survivre à ce traumatisme, Mélanie a dû faire face au jugement et à l’intimidation de certains étudiants, du corps professoral et de la police. Dénoncer n’est pas facile et croire les survivantes est primordial. Toute personne a une façon différente de réagir au trauma, et pour Mélanie il est important de lui laisser l’espace et le choix de décider par elle-même comment elle souhaite le vivre. Et surtout, il faut la croire et valider ce qu’elle a vécu. Dans cet épisode, Mélanie nous raconte comment venir en aide aux survivantes et devenir de bons allié.e.s. Elle nous raconte son expérience avec la première personne qui l’a crue, et comment son empathie a été cruciale dans sa guérison. Faire preuve de bienveillance, ça peut changer les choses.

MÉLANIE : « J’suis pas sûre que je vvais avoir les bons mots, j’suis pas certaine que j’ai tous les outils, mais je te crois. Et je vais être là pour toi. C’est toi qui décides. Si tu veux en parler, on va en parler. Si t’as besoin qu’on aille marcher, on va aller marcher, mais c’est toi qui décides. Et puis peu importe ce que tu vas faire comme choix, tu peux compter sur moi, je vais être là ». Je pense que c’est ça qui est le plus important, en fait.

Introduction

Narration ZOÉ : Saviez-vous à quel point la violence fondée sur le genre est encore bien présente dans notre société? La plupart d’entre nous connaissons ou connaîtrons une femme qui a été victime de violence physique, sexuelle ou psychologique.

Que pouvons-nous faire en tant qu’ami.e, cousin.e, collègue, voisin.e? Quoi dire, quoi ne pas dire? Quand une personne de notre entourage vit ou a vécu de la violence fondée sur le genre, comment bien la soutenir?

Lancé par la Fondation canadienne des femmes, le balado Appel à l’aide vous donne les clefs pour aider les survivantes de violence fondée sur le genre.

Je me présente : Zoé Gagnon-Paquin. Découvrez avec moi les meilleurs moyens d’être de bons et de bonnes allié.e.s pour elles.

Dans cet épisode, je rencontre Mélanie Lemay. Elle est cofondatrice du mouvement Québec contre les violences sexuelles. Elle me confie de quelle manière, en tant que survivante d’agression sexuelle, elle aurait aimé être écoutée.

Attention, ce balado contient des témoignages de violence fondée sur le genre.

*****

Entrevue

ZOÉ : Bonjour Mélanie, merci d’être avec nous en studio.

MÉLANIE : Bonjour.

ZOÉ : Aimerais-tu dire quelques mots pour te présenter?

MÉLANIE : Écoute, je suis une humaine, tout à fait imparfaite, qui est en apprentissage. Je suis une artiste. Je suis une femme. Je suis aussi en questionnement à tellement de niveaux sur ma vie, je me sens comme une grande exploratrice. Mais surtout, j’ai cofondé Québec contre les violence sexuelles, et je suis présentement aussi étudiante au doctorat en sociologie à l’UQAM.

ZOÉ : Mélanie, tu es militante pour un changement de culture en lien avec les agressions sexuelles. Tu es également ici en tant que survivante. J’aimerais comprendre, à partir de ton histoire, comment bien soutenir, et soutenir de façon sécuritaire, une survivante de violence basée sur le genre. Acceptes-tu que l’on revienne ensemble sur cette période de ta vie?

MÉLANIE : Oui, bien sûr.

ZOÉ : La violence peut prendre toutes sortes de formes mais dans ton cas, elle a été de nature sexuelle. Ça s’est passé quand tu étais au cégep. Pour commencer, pourrais-tu me dire à quoi ressemblait ta vie à ce moment-là?

MÉLANIE : C’est spécial. Je venais tout juste de prendre mon envol parce que je viens d’une petite région, je viens de Thetford Mines. J’avais envisagé la possibilité d’aller à l’Université d’Ottawa mais il y avait une partie de moi qui avait envie de profiter de ma jeunesse, pis d’aller dans un cégep où j’apprendrais l’anglais pour pouvoir plus tard étudier la common law. C’est comme ça que j’ai choisi un cégep qui avait un programme de criminologie super bien réputé.

Tout de suite, je suis devenue amie avec un des capitaines de l’équipe. Il avait déjà habité dans la résidence où je venais d’emménager et, en l’espace de vingt-quatre heures, j’ai rencontré tout le campus, puis j’ai été tout de suite invitée dans les soirées.

Tu sais, moi, je me sentais comme à ma place. Mais peu après, évidemment, j’ai vécu l’agression au retour des Fêtes, et ça a été tout un chamboulement dans ma vie.

L’histoire de Mélanie : l’agression sexuelle, et le lendemain

ZOÉ : Je vais revenir sur cette agression mais c’est important que tu te sentes à l’aise. Donc si tu n’as pas envie de répondre aux questions ou si tu souhaites interrompre, à tout moment,c’est vraiment bienvenu. Es-tu à l’aise de me décrire le contexte dans lequel ça s’est produit, et la relation que tu avais avec l’agresseur au moment des faits?

MÉLANIE : C’était la première soirée où tout le monde revenait en ville. Le lendemain, les cours commençaient. Mais arrive trois heures, trois heures et demie du matin, on n’a toujours pas décollé du bar et là, on est vraiment en train de se faire mettre dehors par les bouncers. Il fait froid. Mes amis étaient arrivés avec leur propre auto, moi je m’en allais vers la sortie. Un de mes bons chums de gars, que j’appréciais beaucoup à l’époque, me pogne et me dit « Mel, est-ce que tu nous donnes un lift à moi pis deux de mes amis? »

Tu sais, j’ai pas d’opinion sur la deuxième personne qui nous a accompagnés mais l’une de ces deux personnes est le gars qui est devenu mon agresseur cette soirée-là. C’était quelqu’un qui était ami avec une de mes colocs, je savais qu’il était hyper bien apprécié de notre cercle social mais j’avais jamais vraiment eu de discussion directe avec lui.

Avec le recul et ce que je sais maintenant, je comprends qu’en fait, il y a eu un piège qui a été tendu. Ils ont profité de ma générosité.

Tu sais, comme on était vraiment en mode « On continue le party! » et qu’on habitait tous en résidence, c’était facile d’aller frapper aux portes pis de tous se rassembler d’un coup dans un appart.

Le gars qui est devenu mon agresseur a proposé qu’on fasse l’after chez eux. Comme j’avais une amie proche pis une de mes colocs qui étaient quand même relativement amies avec lui, je me sentais en confiance. Finalement, c’est comme ça que je me suis retrouvée dans son appartement à attendre que mes amies arrivent avec de l’alcool et d’autres amis. Moi je me disais que c’était juste une opportunité d’apprendre à découvrir cette personne-là, qui est quand même importante pour une de mes amies.

Puis c’est là que je réalise qu’en fait j’ai été séquestrée, piégée… violée. Moi, j’ai pensé que j’allais mourir cette soirée-là, ça a été d’une violence incroyable. J’ai encore la marque de ses ongles sur mon avant-bras. C’est comme un sentiment de trahison qui était tellement gros à avaler que je n’étais pas prête encore, je pense, quand j’étais encore dans ce contexte-là de violence.

Tu sais, la raison pour laquelle il a été capable de passer à l’acte, c’est que pendant qu’il m’avait lancée sur le mur et qu’il m’avait piégée dans le fond, il avait réussi à saisir mes clés. J’ai pris la ganse de mes clés pis je l’ai passée autour de mon cou en me donnant un élan pour m’enfuir, mais il a réussi à me saisir par en arrière pis à donner un coup sec. À ce moment-là, j’ai cru que mon cou allait casser tellement ça a fait mal. J’ai même dû faire de la physiothérapie dans les années qui ont suivi. En fait, il m’avait déplacé une vertèbre, ce qui fait que j’ai longtemps eu une douleur aiguë intense aux épaules et au cou. Honnêtement, c’est quelque chose de troublant, aussi, de comparer avant l’agression versus aujourd’hui. C’est fascinant les répercussions que l’agression a eues au niveau de mon dossier médical.

(silence)

ZOÉ : Merci pour ta confiance et ton partage. Le lendemain du viol, est-ce que les gens autour de toi pouvaient voir qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas?

MÉLANIE : Absolument. Parce que soudainement, la fille qui était le boute-en-train, qui dit tout le temps des niaiseries, qui est super joviale…, eh bien, elle est refermée sur elle-même, elle sourit plus, elle rit plus, elle fait plus de jokes, elle fond à vue d’œil.

Moi, l’agression, mon corps l’a encaissée de A à Z. Je suis devenue anorexique, je dormais plus. C’était vraiment particulier. J’ai commencé aussi à faire des pertes de connaissance, c’est comme si mon âme refusait de continuer de vivre sur la scène du crime parce que c’est sûr, c’est une agression, c’est un peu un meurtre de l’âme.

J’ai découvert aussi avec le temps qu’il a fait plusieurs victimes, ce gars-là, en toute impunité, puis qu’il y avait certains gars dans l’équipe aussi, qui le savaient, soit parce qu’ils ont sorti par la suite avec certaines de ces victimes, soit parce qu’ils ont été témoins de certains comportements de sa part ou de son discours aussi à l’égard des femmes, qui était quand même assez particulier. Pis lui, il se croyait au-dessus de tout ça.

(silence)

Narration ZOÉ : Mélanie s’est rendu compte qu’elle était loin d’être la seule. Et ça lui a permis de valider ce qu’elle ressentait.

MÉLANIE : On prend un café et comme ça, subtilement, je fais juste glisser le nom de mon agresseur dans la conversation pendant qu’on parlait de gars. Là, sa face a changée de couleur, elle est devenue blanche, elle m’a regardée, pis j’ai même pas eu besoin qu’elle m’explique.

On s’est rendu compte qu’il avait le même modus operandi. Ça fait que moi, à ce moment-là, quand elle m’annonce qu’elle a été victime de lui elle aussi, j’avais pas besoin de plus. J’étais juste comme « OK, je ne suis pas folle. Si je feel tout croche pis que je dors plus, pis que je mange plus, c’est parce que ce gars-là, il est véritablement fucké ». Parce que pour moi, c’était quand même un peu « Est-ce que je suis légitime d’être une victime? » Parce que dans ma tête, je cadrais pas non plus aux coches qu’on nous a enseignées de c’est quoi être victime, je rentrais dans rien de ça, c’était juste comme une trahison, je me disais « Voyons, qu’est-ce que j’ai fait pour mériter de vivre cette agression? » Ça fait que c’était vraiment spécial mais, de me faire valider que ce gars-là était effectivement un agresseur, par une fille qui connaissait sa réputation, moi, sur le coup, c’est tout ce que j’avais besoin.

Narration ZOÉ : Il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » victime. La violence sexuelle peut se produire dans plusieurs contextes, parfois entre des personnes en relation amoureuse, dans les familles, au travail, entre amis, et avec des étrangers.

MÉLANIE : Et c’est là que j’ai découvert en fait que ce soir-là, au bar, la fille à qui je me suis confiée, elle a été voir un des capitaines de l’équipe parce qu’elle vivait avec la culpabilité d’avoir rien dit précédemment, et elle lui a dit « Hé, ce gars-là que vous aimez tellement, le meilleur receveur, c’est un agresseur ». Puis là, le capitaine, il l’a regardée et a dit « Ça se peut pas, t’es une menteuse, toi t’es une fille facile, pis t’essaies juste de te justifier en ce moment en inventant n’importe quoi! T’as honte d’avoir couché avec lui, ça fait que t’essaies de monter une histoire qui est pas vraie ».

Puis c’est là où elle lui aurait dit « Non, c’est vrai, il a violé Mélanie aussi ».

Moi c’est comme ça dans le fond que c’est sorti. Pis c’est pour ça que mon agresseur était autant énervé cette soirée-là, parce que je pense qu’il avait compris qu’il venait de perdre le contrôle. Et puis l’emprise aussi, souvent c’est ça qui les fait carburer. C’est de sentir qu’ils ont le pouvoir sur quelqu’un, sur son silence. Aussi, c’est souvent un facteur précipitant de stress ou de violence ou d’agression, justement.

Narration ZOÉ : La communauté étudiante a appris que Mélanie avait été violée et que l’agresseur était un membre de l’équipe de football du cégep. Mélanie n’a pas choisi le contexte de cette révélation et ensuite, elle n’a pas été soutenue par la direction du cégep.

L’histoire de Mélanie : le manque de soutien, les tentatives d’appel à la police

MÉLANIE : Toutes les personnes en situation d’autorité au cégep ont été au courant : coach, profs, direction, responsables, directeur des résidences, tout le monde l’a su. Pis ça s’est fait en deux secondes parce que ce genre de nouvelle-là, c’est comme une bombe. Là, tout d’un coup, j’étais comme dérangeante : « On va tellement l’écœurer, pis l’intimider, qu’elle voudra plus jamais remettre les pieds sur le campus ». Pis le mot d’ordre était aussi qu’on voulait pas perdre le meilleur receveur parce qu’il fallait gagner le Bol d’Or.

Avec tout ça, j’ai dit à ma mère « Regarde maman, je préfère pas mal plus construire mon avenir que de regarder dans le passé ». Surtout que j’avais déjà tenté une première fois de porter plainte à la police quand ça a éclaté dans notre milieu, parce que là, soudainement, il y a des victimes qui avaient commencé à me parler.

J’ai découvert que j’étais pas toute seule, ça fait qu’il y a eu une première fois où j’ai essayé d’appeler la police. J’avais réussi à enregistrer mon agresseur la fois que je l’avais confronté sur l’agression pis que, justement, il m’avait menacée. C’est là où il m’avait fait comprendre que sa carrière était, de loin, beaucoup plus importante que la personne que je suis, moi, en tant qu’humaine, aux yeux de tout le monde dans l’institution.

Ça a été toute cette réflexion-là aussi, quand j’ai tenté d’appeler la police la première fois, et que le répondant au bout de fil m’a dit « Ben là, c’est-tu ton ex? Parce que si oui, ça serait vraiment bas d’essayer de te venger comme ça ». Moi ce moment-là, ça m’a tuée.

Narration ZOÉ : Mélanie n’a pas été la seule à ne pas être soutenue par la communauté collégienne. Elle s’en est rendu compte en voulant aider une amie qui dénonçait un professeur de leur cégep pour agression sexuelle.

MÉLANIE : Ça fait que dans le fond, ce qui s’est passé, c’est que j’accepte d’accompagner mon amie qui voulait protéger son autre amie. Moi ce qui m’a sciée en deux, ça a été l’attitude de la directrice. La première chose qu’elle nous dit c’est « Écoutez ben, ce gars-là, ce prof-là, c’est mon ami. Pis honnêtement, vous êtes des petites filles immatures, vous avez aucune idée de c’est quoi finalement les configurations possibles dans les couples. Pis moi, je vous le dis tout de suite, je vas rien faire parce que c’est des adultes, ils peuvent faire ce qu’ils veulent comme ils veulent, pis moi je m’en mêle pas ». A ce moment-là, je te jure, il y a comme quelque chose qui s’est connecté dans ma tête.

Ils ont voulu étouffer l’affaire et ont fait en sorte que ce prof-là ne puisse plus enseigner à des mineurs. Mais il a continué de pouvoir garder son poste dans l’université qui partageait un peu le même campus. Et là, ce qui s’est passé, c’est que, de façon complètement troublante, moi j’ai reçu un courriel de la directrice qui m’a menacée en me disant qu’il y allait avoir des répercussions sur mes études. Et comme de fait, le fait d’avoir voulu dénoncer le sexisme systémique, le corps professoral a reçu le mémo. Puis parce que je leur aurais fait perdre leur meilleur joueur et un de leurs profs préférés, dans le fond ils ont jamais voulu en fait m’accommoder face à l’expérience horrible que j’ai vécue. J’ai reçu des menaces que j’allais perdre mon emploi de responsable aux résidences si je me « responsabilisais » pas sur mon attitude, qui était complètement déraisonnable à leurs yeux.

C’est ce qui m’a amenée des années plus tard à cofonder Québec contre les violences sexuelles, puis à proposer en fait que ce genre de culture-là, la culture du viol sur les campus, elle soit démantelée et qu’il y ait des mécanismes qui obligent les directions des universités et des cégeps à devoir déconstruire les comportements de violence qui existent dans leurs partys étudiants, dans les campus, de la part de profs, de membres du personnel.

(silence)

Narration ZOÉ : Toutes les survivantes ont une façon différente de réagir au trauma. C’est important de leur laisser l’espace et le choix de décider par elles-mêmes comment elles souhaitent le vivre. Et surtout, il faut les croire, valider ce qu’elles ont vécu.

MÉLANIE : Six mois plus tard, à la rentrée de cette année-là, en septembre- octobre, il y a quand même des gars de l’équipe qui sont venus me voir pour me dire « Hé, c’est quand même questionnant, hein, parce qu’y est pas revenu jouer cette année. Pour un gars qui a son potentiel, sa drive et sa capacité de dominer sur le terrain, pour qu’y décide de tout quitter pis d’aller étudier dans un autre cégep, dans un autre domaine, c’est comme… pas normal. » Pis là, il y a eu du monde qui a commencé à se poser des questions sur « Crisss, pourquoi y’é pas revenu jouer si y’a rien à se reprocher? » Ça a fait que je me sentais un petit peu plus soutenue, et j’ai rappelé la police à ce moment-là.

L’opérateur au téléphone m’a dit « C’est vraiment triste ce qui t’es arrivé, mais tu réalises que ça va détruire sa vie si tu portes plainte? »

Écouter sans jugement

MÉLANIE : Puis il m’est arrivé une espèce de coïncidence incroyable qui m’a donné le courage de me dire « OK, je suis une personne qui n’est pas souffrance, je suis une personne qui fait l’expérience de la souffrance ». Et l’une des premières choses qui m’a aidée, c’est les communautés en ligne.

Parce qu’à ce moment-là, même si je savais que mon agresseur avait fait d’autres victimes et tout, le sentiment d’être seule au monde était tellement présent que de voir des témoignages sur Internet, puis des stratégies et d’être capable de mettre des mots sur ce que j’ai vécu, ça a été ça en fait, mon premier soutien. C’est pour ça que les communautés en ligne sont hyper importantes.

Il y a aussi eu un gars qui était quand même vraiment important dans l’équipe de football (il avait été jouer aussi au football universitaire), et il a eu l’empathie de venir vers moi parce que tout le monde, évidemment, savait ce qui m’était arrivé. Il m’a dit quelque chose qui a changé ma vie. Il m’a dit « Mel, c’est grave ce que t’as vécu, ça vaut la peine d’aller chercher de l’aide ». Pis là, il m’a raconté en fait à quel point ça existait des ressources. Il m’a parlé de féminisme, même. Pourtant, ce gars-là, tu le regardes, tu te dis « voyons donc! » Alors pour moi ça a été quand même vraiment spécial de me faire parler de santé mentale, de me faire parler de plein d’outils qui m’étaient complètement inconnus, de tout ça. Et puis ça m’a juste vraiment touchée, en fait, cette espèce d’humanité qu’il a eue, genre « Hé, je te vois dans ta souffrance, dans ce que t’es ». C’est pas dans ces mots-là qu’il l’a dit, évidemment. Il avait, quoi… dix-neuf? vingt ans? Mais il m’a entendue.

Et il m’a entendue, moi, là où j’étais à ce moment-là dans ma vie. Écoute, c’était un méchant chantier, dans le sens que c’était rendu que j’avais développé plein de mécanismes toxiques pour essayer de noyer justement cette espèce de discours du « Ah, je veux me tuer, je suis vraiment lourde et tout le monde m’haït ».

Avoir reçu un regard bienveillant, avoir quasiment eu un modèle de quelqu’un qui me dit « Va chercher de l’aide », même si c’était pas quelque chose qu’il avait vécu, même si c’était juste purement empathique, dans la bienveillance, c’est ça qui m’a donné le courage. Pas « on the spot », mais quelques mois plus tard, quand je suis entrée à l’université. Là j’ai fait « Ouin, sérieux, je me regarde dans un miroir et je suis pas fière de moi; j’ai toute la honte du monde sur les épaules, je me sens dégueulasse, je me sens vraiment comme …».

C’était vraiment horrible, mon discours intérieur. Tsé, l’amour de moi-même, il était mort. Moi, c’était terminé. Ça fait que ça a été un gros cheminement pis c’est comme ça que j’ai atterri pour la première fois dans un CALACS. Pis on m’a sensibilisée aux attitudes aidantes, à cette nécessité-là, dans le fond, de ne pas donner de conseils, de juste accueillir l’autre, de ne pas le pousser à porter plainte ou à faire ci et ça. Parce qu’on voit que dans certaines communautés ou dans certains milieux, des fois, la meilleure solution, c’est de ne pas en parler. Aussi, on parle beaucoup de système de justice, mais moi, honnêtement, mon expérience avec le système, elle est loin d’être magnifique. En fait, je pense que je me suis fait violer une deuxième fois quand j’ai porté plainte de façon formelle. On est rendus en 2023 pis je continue à tous les jours, via ma page Québec contre les violences sexuelles, de recevoir des témoignages de victimes qui ont traversé le même enfer que moi.

Vraiment, si on veut aider, c’est de s’outiller, d’aller chercher ces stratégies-là, de se renseigner sur les ressources qui existent autour de soi. C’est vraiment de diversifier son regard, de se renseigner, de consommer de la culture, des podcasts qui nous permettent aussi de gérer notre propre incompréhension et de ne pas avoir à poser des questions destructrices à la victime. C’est pas à la victime de t’enseigner quoi que ce soit sur ce qu’elle a vécu en fait. Il faut vraiment juste écouter, recevoir, être dans l’empathie, le non-jugement, ne pas remettre en question.

Je trouve qu’il y a plusieurs façons de réagir qui ont l’air anormales mais qui sont adaptées à une situation qui est anormale. Et je pense que c’est d’être bienveillant et ouvert d’esprit, surtout quand en plus, on connaît et la victime et l’agresseur dans son univers.

(silence)

L’importance des personnes soutenantes

ZOÉ : Si je comprends bien, cette personne-là qui t’a dit pour la première fois « Mélanie, tu sais, peut-être que c’est normal que tu sentes que ça ne va pas bien. Peut être que ça serait bien que tu ailles chercher de l’aide », toi, tu as vécu ça comme quelque chose de bienveillant et non pas de directif? Est-ce que tu dirais que c’est ça qui a aidé autant, sinon plus, que les paroles elles-mêmes?

MÉLANIE : À cent pour cent! Parce que là où j’étais fragile et que j’avais vraiment rien sur lequel construire, il est venu m’offrir une base. Y’a rien réglé, y’a rien changé parce qu’à la fin de la journée, il m’a juste donné le « Hé, Mel, ça existe cette possibilité-là que toi, jusqu’à maintenant, tu imaginais absolument absente de l’échiquier ou du calcul possible ». Il m’a renseignée sur le fait que « Ayoye, c’est vrai que c’est grave ce que j’ai vécu et que c’est nécessaire que je prenne du temps pour moi. »

¨Ça revient de façon systématique quand tu parles à des victimes d’agression : dans tous les cas, la première personne qui t’a vraiment entendue, c’est toujours quelque chose de vraiment fort et spécial.

Faut qu’on se parle, faut qu’on donne des outils à Monsieur, Madame tout le monde sur comment recevoir des dévoilements d’agression sexuelle, mais aussi créer un système de ressources qui va permettre à tout le monde sur le terrain de marcher de façon concertée vers la création d’une culture du consentement.

Comment approcher quelqu’un et mieux comprendre le trauma

ZOÉ : Dans ton expérience, c’est quoi la meilleure façon d’approcher quelqu’un si je veux initier une conversation là-dessus et que je ne sais pas comment ça va être reçu?

MÉLANIE : Il faut regarder où la personne qui est face à nous est rendue. Il y en pour qui les conditions dans leur vie à ce moment-là ne permettent pas de fuir. Parce que, par exemple, il y a un contexte d’emprise qui est trop bien tissé autour d’elle. Ou ses conditions matérielles ne lui permettent pas de juste laisser ça de côté puis quitter la situation. Il y a des personnes aussi que leur mécanisme, un peu comme moi, ça va être l’évitement.

Mais je pense que les gens ont surtout besoin d’oxygène. Ils ont besoin d’espace, ils ont besoin de connaître l’éventail de possibles et de ne pas se faire pousser dans une direction plus qu’une autre. Tu sais, il y a du monde qui vont dire « Hé, il faut de la thérapie à tout prix » ou « Il faut dénoncer à tout prix ». Moi je suis pas là-dedans pantoute parce que des fois, juste un coucher de soleil, écouter de la musique, être en nature, voir du monde, s’amuser, c’est tellement réparateur! Puis des fois, t’as juste besoin d’un break, t’as juste besoin de te ressourcer, de passer une soirée qui est le fun, pour te rappeler aussi que la vie, elle peut goûter autre chose.

ZOÉ : Donc moi, comme personne de soutien, en offrant un espace qui est non directif, en fin de compte, je viens offrir une alternative à cette pression-là. Je retiens ça. Je voulais te poser la question : « Qu’est-ce que tu aimerais que nos auditeurs, nos auditrices comprennent sur la réalité du trauma qui est causé par la violence basée sur le genre? Qu’est-ce qu’on a besoin de comprendre sur l’aspect qui est traumatique de ces événements-là pour qu’on puisse mieux soutenir les survivantes?

MÉLANIE : D’abord, il faut comprendre que ça n’a rien à voir avec la sexualité, c’est une prise de pouvoir sur l’autre, et que l’autre se retrouve dévasté, plongé dans une noirceur qui vient aussi mettre au défi toutes les présomptions qu’une personne peut avoir sur la société. C’est comme un deuil de tellement de choses, parce que le monde se parle pas et que la victimisation secondaire, elle est omniprésente aussi, quand on dit à une victime de dénoncer.

Quand tu comprends que la personne, elle voit même plus où elle a du pouvoir et qu’elle a même de la misère à se brosser les dents, à prendre sa douche, ou à juste sortir de son lit, comment est-ce que tu réussis, dans le quotidien, à lui donner l’opportunité de choisir? Ça peut être, mettons « Hé, aujourd’hui, veux-tu écrire avec un stylo noir ou un stylo bleu », ou genre, « Ta tasse de café, tu veux laquelle? ». Ça commence par des affaires vraiment toutes petites. Jusqu’à ce que finalement, elle soit en mesure de dire « Est-ce que je porte plainte ou je porte pas plainte? Est-ce que je vais chercher de l’aide ou je vais pas chercher de l’aide? Est-ce que moi, ce qui me ferait du bien en ce moment, c’est d’aller danser ou c’est de rester à la maison? » C’est là où la personne va tranquillement être capable d’aller chercher cette petite énergie-là qui va finir par prendre de plus en plus d’ampleur. Aussi, c’est d’être très vigilant aussi sur les propos qu’on tient.

(silence)

Narration ZOÉ : Quand on soutient une survivante, c’est important d’exprimer notre compassion, et ce, sans jugement.

Il faut se concentrer sur la personne qui souffre, ne pas mettre notre colère, notre choc, notre tristesse ou notre peur de l’avant dans la conversation.

MÉLANIE : Aussi, c’est d’apprendre à se gérer pis si c’est trop lourd pour toi parce que ça vient chercher des traumatismes, genre une espèce d’incompréhension mutuelle, toi aussi va chercher des ressources parce que, heureusement, il y a des proches qui peuvent avoir des outils sur comment gérer aussi leur propre choc. C’est de prendre soin de soi, d’être bienveillant et de faire en sorte qu’on puisse offrir aussi cette idée-là que le Self Care et le Community Care, ça va ensemble. Prendre soin de soi, de sa communauté, militer pour des changements systémiques, ça fait aussi partie de la guérison.

Des trucs pour amorcer une démarche auprès d’une personne en situation de violence

Narration ZOÉ : Tout le monde vit la violence différemment. La survivante pourrait vouloir faire les choses autrement que vous. Écoutez-là. Soyez là pour la soutenir pendant qu’elle explore ce qui lui convient, plutôt que lui dire ce que vous feriez à sa place ou ce qu’elle devrait faire. Demandez-lui comment vous pouvez l’aider.

MÉLANIE : Je pense que c’est de l’accueillir là où elle est dans l’instant présent. C’est de pas essayer de lui donner un script de ce que devrait faire une bonne victime, ou une vraie victime, ou une victime qui est crédible. Juste la regarder dans son humanité brisée et juste tolérer cette souffrance-là qui vient d’elle, mais aussi de la nôtre, puis de ce qu’on voudrait projeter sur elle comme étant ses besoins présupposés ou ce qu’elle devrait faire. Ça revient un peu à ce que je disais tout à l’heure, c’est de voir comment dans son environnement immédiat, on peut célébrer aussi chacun des pas qu’elle va faire.

Il y a quand même plein de chemins vers la guérison.

Exemple de propos soutenant pour les survivantse

ZOÉ : Ça serait quoi pour toi, un exemple de phrase qui t’aurait fait du bien d’entendre ou de recevoir au moment où tu étais le plus vulnérable?

MÉLANIE : « J’suis pas sûre que je vais avoir les bons mots, j’suis pas certaine que j’ai tous les outils, mais je te crois. Et je vais être là pour toi. C’est toi qui décides : si tu veux en parler, on va en parler, si t’as besoin qu’on aille marcher, on va aller marcher, mais c’est toi qui décides. Et puis peu importe ce que tu vas faire comme choix, tu peux compter sur moi, je vais être là ».

Je pense que c’est ça qui est le plus important, en fait. Parce que ton réseau, il est tellement important. C’est ce qui détermine souvent si une victime va avoir la capacité de porter plainte dans l’immédiat ou si elle va développer ou pas aussi un syndrome de stress post-traumatique. Parce que ce qui est beau, c’est que s’il y a un filet qui se met rapidement en place autour de la victime, peut-être que ça permettrait d’éviter que ça se cristallise, puis qu’elle aie à se sentir coupée du monde.

C’est ça la beauté, c’est de se dire que si on développe des mécanismes ou si les gens sont formés dès la petite enfance à avoir la bonne attitude, ben ces répercussions-là qui m’ont pris, genre, douze ans à déconstruire, peut-être que les prochaines Mélanie n’auront pas à sentir que leur vie leur glisse entre les doigts pour finalement être à nouveau fonctionnelle, ou que finalement des personnes s’enlèvent la vie et qu’on n’aura jamais su le fin mot de l’histoire parce qu’elles voulaient pas faire souffrir leur entourage.

Le parcours de guérison

ZOÉ : En terminant, Mélanie, où en es-tu aujourd’hui dans ton processus, dans ton parcours de guérison? Qu’est-ce qui t’a aidée et soutenue?

MÉLANIE : C’est d’accepter que c’est pas linéaire. J’ai fait le Kilimandjaro il y a quelques années pis ça c’est complètement transformé, c’est vraiment spécial. Je sais que c’est full cliché, et qu’il y a plein d’enjeux aussi autour de tout ça. Mais l’image des montagnes, cette espèce de série de montagnes invisibles, c’est faire la démarche de mettre un pas devant l’autre, puis c’est de comprendre au fond, que cette mobilité-là, elle se passe entre les deux oreilles et qu’on n’a pas besoin en fait d’avoir tous les outils. Il faut juste continuer à accepter de déposer son pied un à la fois, un devant l’autre. Pis que chaque limite que tu traverses, c’est une limite que tu pensais pas que tu serais capable de traverser, et qu’il y a aussi un espace de wow où tu sais même pas que c’est possible d’expérimenter ces espèces de coïncidences, de hasards, de rencontres. Aussi, c’est de donner une chance à la vie de te surprendre.

Je sais pas si t’as déjà fait de la plongée, mais des fois l’eau est complètement floue et tu vois rien pantoute. Pis t’as comme une espèce de corde entre le bateau et toi qui t’amène à faire en sorte que tu te perdes pas dans le fond. Parce que tu t’accroches à cette espèce de corde qui permet de remonter à la surface. Cette ancre-là, c’est un peu ça que mes études ont été pour moi, dans ma situation. Ça a toujours été mon ancre. Même si autour de moi c’était le chaos. Même si j’avais pas de relation, même si j’étais toute seule, même si ça allait pas bien, même si je voyais pas la fin, si tout était flou, au moins, j’avais une attache. Il y en a, ça va être le travail, il y en a, ça va être une relation, il y en a, ça va être autre chose.

C’est important de définir ça. C’est quoi l’élément que, peu importe ce qu’il se passe, je vais pas lâcher. C’est ça aussi qui m’a aidée à rester dans une espèce de fil conducteur, qui m’a permis d’émerger et de pouvoir finalement potentiellement continuer de créer des déclics. Pis juste de permettre de démontrer par ma présence dans le monde, que je continue de choisir quotidiennement, que c’est possible de continuer de marcher.

ZOÉ : Merci Mélanie.

MÉLANIE : Merci à toi. À la prochaine!

 

Appel à l’action

Narration : Pour me préparer pour le projet balado et m’outiller sur comment répondre à un appel à l’aide, j’ai utilisé les ressources en ligne de la Fondation canadienne des femmes. Vous aussi, vous pouvez apprendre comment aider : participez au parcours d’apprentissage et suivez le mini-cours en ligne de la Fondation qui est disponible gratuitement pour vous sentir en confiance et prêt.e à soutenir quelqu’un dans votre vie. Lorsque vous savez comment réagir aux signes d’abus, vous pouvez changer l’histoire.

Passez à l’action en vous rendant à l’adresse repondrealappelalaide.ca.

Crédits

La série balado Appel à l’aide a été produite et animée pour la Fondation canadienne des femmes par Zoé Gagnon-Paquin.

Réalisation : Maude Petel-Légaré

Recherche : Nancy Pettinicchio

Composition musicale et post-production : Virage sonore

Ce projet a été subventionné par Femmes et Égalité des genres Canada.  WAGE Canada logo