La haine, le harcèlement et la violence numériques fondés sur le genre
Facebook, Twitch, Discord, Tinder, X, Instagram, TikTok, YouTube, Reddit, LinkedIn, Zoom. La vie numérique est la vraie vie. Et les espaces numériques ne sont pas sûrs pour tout le monde.
Que vous soyez sur les médias sociaux, les plateformes de streaming, les applications de rencontre, de messagerie ou les sites de jeux, si vous êtes une femme, une fille ou une personne bispirituelle, trans ou non binaire, vous êtes davantage exposée à la haine, au harcèlement et à la violence.
Au Canada, 1 femme sur 5 est victime de harcèlement en ligne. Les jeunes femmes, les femmes racialisées et les personnes 2SLGBTQIA+ sont parmi celles qui courent le plus de risques. L’augmentation du taux de crimes de haine au Canada est en grande partie due à l’augmentation de la haine dans les espaces numériques contre les femmes, les personnes 2SLGBTQIA+ et les groupes ethniques et religieux ciblés.
La haine, le harcèlement et les abus numériques liés au genre se produisent tous les jours. Ils sont omniprésents, urgents et croissants.
Vous méritez d’être en sécurité et à l’abri du danger.
Il n’y a pas de réponses faciles ou de solutions rapides. Mais une chose est claire : le pouvoir, la sécurité, le soutien et le droit de s’épanouir, aujourd’hui et demain, ne seront pas notre réalité tant que nous ne serons pas en sécurité partout, y compris dans les espaces numériques.
Tout le monde a de différentes expériences. Consultez les ressources et prenez note de celles qui semblent le plus utiles pour vous.
Voici une tranduction de notre balado avec les créatrices numériques @the.sisofficial, Emma et Floli
(visitez ce lien pour écouter l’enregistrement en anglais)
00:00:04 Emma
Nous sommes des activistes – nous discutons de justice sociale, et nous voyons des commentaires sur presque tout. Je pense que nous n’avons jamais, jamais, crée une vidéo qui n’a pas reçu de messages de haine.
00:00:13 Andrea
La haine, le harcèlement et la violence en ligne font mal à tellement de femmes, de filles et de personnes bispirituelles, trans et non binaires. Les créatrices et créateurs de contenu numérique qui s’intéressent à la justice de genre, comme Emma et Floli, ont beaucoup à nous apprendre à ce sujet.
Je suis Andrea Gunraj de la Fondation canadienne des femmes.
Bienvenue à Alright, Now What?, un balado de la Fondation canadienne des femmes. Nous nous penchons sur des histoires pour lesquelles on se demande « Pourquoi ça arrive encore? » avec une perspective féministe intersectionnelle. Nous explorons les voies systémiques et les stratégies de changement qui nous rapprocheront de notre objectif d’atteindre la justice de genre.
La Fondation canadienne des femmes et les organismes qu’elle soutient mènent leurs activités sur des territoires traditionnels des Premières Nations et des peuples métis et inuits. Nous sommes reconnaissantes de la chance qui nous est donnée de nous réunir et de travailler sur ces terres. Nous savons toutefois que les reconnaissances territoriales ne suffisent pas. Nous devons constamment chercher la vérité, la réconciliation, la décolonisation et les alliances dans le cadre d’efforts continus pour réparer l’ensemble de nos relations.
Nos invitées, Florence-Olivia et Marie-Emmanuelle, sont des chercheuses et des conférencières renommées internationalement dans le domaine de la prévention et de l’intervention en matière de violence. Elles sont des personnalités publiques et des expertes en droits de la personne et ont agi à titre de consultantes pour des entreprises, des organismes à but non lucratif, des organisations du secteur public et des gouvernements. Elles ont créé leur propre plateforme en ligne, The Sis, qui permet à des milliers de personnes du monde entier de s’exprimer sur des questions d’actualité liées à la justice de genres. En 2022, elles ont été citées parmi les 15 personnes les plus influentes du Québec. Dans le cadre de leur travail sur les médias sociaux, elles ont contribué à faire connaître l’appel à l’aide de la Fondation canadienne des femmes auprès de leur public comme outil pour aider à mettre fin à la violence fondée sur le genre.
Une note sur le contenu : cet épisode traite de violence fondée sur le genre.
00:03:09 Emma
Je m’appelle Marie-Emmanuelle, et vous pouvez m’appeler Emma pour aujourd’hui, c’est parfait. Je suis candidate au doctorat en droit à l’Université Queen’s, et je me spécialise dans la violence entre partenaires intimes, principalement dans l’espace public où les lois sont élaborées, les politiques, etc., pour créer un environnement plus sûr pour les femmes chez elles et ailleurs.
00:03:32 Floli
Je m’appelle Florence-Olivia. Je suis la sœur aînée, et vous pouvez m’appeler Floli pour ce balado. Je suis candidate au doctorat à l’université de Durham, au Royaume-Uni. Je me spécialise dans la violence sexuelle. Mon projet de recherche porte sur la redéfinition du viol dans la loi. Nous avons également une plateforme éducative féministe appelée The Sis, que nous avons lancée il y a trois ans.
00:03:58 Emma
Nous avons maintenant une communauté de plus de 400 000 personnes qui nous suivent dans le monde entier. Nous en sommes très fières et nous sommes très heureuses de voir un aussi grand nombre de personnes vouloir s’informer sur des questions féministes et sur les droits des femmes. De plus, grâce à cette plateforme, nous avons pu partager et démocratiser nos recherches, qui passent parfois inaperçues pour les personnes qui ne sont pas nécessairement dans le domaine.
00:04:22 Floli
Nous avons eu la chance de collaborer avec des organisations phénoménales telles que la Fondation canadienne des femmes et ONU Femmes. Nous sommes donc très reconnaissantes de pouvoir compter sur cette formidable communauté de féministes et d’activistes, mais aussi de pouvoir faire une différence dans la vie des femmes et des filles partout.
00:04:41 Emma
Notre plateforme s’appelle The Sis, nous sommes donc sœurs, évidemment. Bien sûr, notre travail nous passionne, aider les femmes du monde entier nous passionne, mais aussi, nous dansons toutes les deux depuis presque 18 ans de manière semi-professionnelle. Nous avons toujours travaillé ensemble et nous nous sommes toujours amusées ensemble, c’est donc quelque chose qui fait partie intégrante de nos vies.
00:05:02 Floli
Nous avons toutes les deux commencé à l’âge de trois ans. Nos parents dansaient tous les deux. Notre père faisait du break dance. Notre mère était ballerine, et donc ça a toujours fait partie de notre enfance – voir nos parents danser. Mais nous n’avions jamais pensé que lorsque nous avons lancé notre plateforme The Sis… c’était au début de la COVID et TikTok était très axé sur la danse. Et donc, pour nous qui étions coincées à la maison, nous avons essayé de faire passer un message avec ces danses qui circulaient sur TikTok. C’est vraiment comme ça que The Sis a commencé, avec juste… on avait l’habitude de faire des danses qui étaient populaires, qui étaient sur l’algorithme, et nous y avons ajouté des idées féministes, des messages féministes, et c’est vraiment comme ça que nous avons commencé à faire en sorte que les personnes s’investissent dans le travail. Je pense donc que la danse prend – prenait, du moins – une grande place dans notre vie en grandissant, mais nous n’avons jamais pensé qu’un jour, en tant qu’universitaires, nous combinerions la danse et le savoir.
00:06:03 Andrea
Quelle a été votre expérience avec la haine et le harcèlement en ligne liés au genre au fur et à mesure que votre plateforme s’est développée?
00:06:08 Emma
Lorsque nous nous sommes lancées dans les médias sociaux, c’était une première pour nous. On ne savait donc pas vraiment à quoi nous attendre. On faisait ça purement par intérêt et par passion. Nous n’avions donc pas vraiment pensé aux répercussions négatives, ou plutôt aux commentaires négatifs ou à quoi que ce soit d’autre. Pour nous, c’était tout simplement naturel de parler de ces questions.
Nous avons commencé à recevoir des commentaires haineux et lorsque ta plateforme se développe aussi rapidement, il y a plein de personnes différentes qui laissent des commentaires. Et oui, il y a des féministes, mais oui, il y a aussi des personnes qui n’ont jamais entendu parler du féminisme ou qui en sont contre. Pour nous, ça a été un véritable défi au début, et bien sûr, ça l’est toujours, mais ça a été un véritable choc pour nous quand nous avons commencé. Personne ne vous prépare à ce genre de haine. Et je ne comprenais pas d’où ça venait. On ne faisait que discuter des expériences vécues par les femmes, de ce qu’elles traversent et des problèmes réels qui affectent les gens. Et recevoir de la haine à cause de ça, je ne comprenais juste pas, c’était donc très difficile à saisir.
00:07:13 Floli
Ça nous a choquées en grande partie aussi parce que ce qu’on publiait, ce qu’on enseignait était basé sur des données, sur la science, sur des sources fiables. Et de voir que malgré nos preuves sur la violence faite aux femmes, la violence sexuelle, leur prévalence, ça a suscité beaucoup de résistance, beaucoup de réactions négatives disant que c’était faux ou que c’était des mensonges alors que nous fournissions même les sources pour que les gens puissent les consulter facilement, gratuitement et de manière accessible. C’est en grande partie pour ça que nous avons été choquées.
Mais aussi, ce n’est pas si choquant de voir que la voix des femmes et des filles est toujours censurée d’une certaine manière, dans l’espace public ou non. Maintenant que nous sommes dans l’ère numérique, ce n’est pas surprenant de voir que les femmes et les jeunes filles sont censurées. Et qu’on essaie de les faire taire, malheureusement. Nous sommes menacé.es. Que ce soit notre propre sécurité, pour notre page ou nos abonné.es qui essaient d’éduquer leurs ami.es et qui reçoivent aussi des menaces, ça nous rappelle que la violence est omniprésente, que ce soit en ligne ou hors ligne.
00:08:26 Emma
Nous essayons de les bloquer autant que possible. Ce sont des mesures que nous avons essayé de prendre pour préserver notre santé mentale. On ne regarde pas toujours tous nos MP et on essaie de séparer notre travail de notre vie personnelle, ce qui est difficile à faire. Mais on ne se sent pas mal quand on bloque des personnes qui nuisent à notre santé mentale ou qui nuisent au sentiment de sécurité sur notre plateforme, parce que nous voulons que cet espace soit également sécuritaire pour nos abonné.es.
00:08:57 Andrea
Et, ironie du sort, il y a parfois des plateformes qui signalent votre contenu sur la justice de genre, non?
00:09:01 Emma
TikTok et Instagram. Souvent, nos vidéos sont retirées parce que nous abordons ces questions et nos vidéos sont censurées ou retirées, mais nous voyons ensuite des vidéos horribles de certaines personnes et il en faut tellement pour qu’elles soient retirées ou supprimées, et c’est très perturbant pour nous.
00:09:22 Floli
Oui, en tant que plateforme éducative basée sur des données et des recherches, notre contenu est parfois considéré comme du discours haineux alors que nous promouvons l’égalité entre les genres. C’est un rappel du travail qu’il reste à faire. Et ces différentes plateformes de médias sociaux devraient en fait entrer en contact et discuter avec, par exemple, nous, des survivantes de la haine en ligne, afin que nous puissions parler de nos expériences vécues. Les plateformes ont l’énorme responsabilité de promouvoir un espace sûr pour tous ces créateurs et créatrices.
00:09:54 Andrea
Comme d’autres créateurs et créatrices avec qui nous discutons, votre contenu porte sur l’éducation féministe – c’est un bon exemple du côté positif des médias sociaux qu’on oublie parfois.
00:10:03 Emma
L’essentiel, c’est que nous pouvons rejoindre le monde entier, ce n’était pas possible avant. Cette sorte de quatrième vague du féminisme nous permet enfin, à toutes les femmes et à toutes les personnes de la diversité de genre, de partager nos propres expériences et de dire : Oh mon Dieu, toi aussi ça t’est arrivé? Moi aussi. Comment tu arrives à gérer ça? Qu’est-ce qu’on peut faire en tant que communauté mondiale pour créer des changements, avoir des espaces sûrs, etc.? » Pour moi, c’est là que les médias sociaux prennent tout leur sens : on peut rejoindre tout le monde.
00:10:35 Floli
Oui, c’est vrai. Et en même temps, nous donnons une voix à tout le monde. Par exemple, c’est quelque chose que nous faisons avec The Sis. Nous demandons souvent à nos abonné.es, « Avez-vous vécu de la coercition sexuelle? » Nous recevons alors des réponses de gens du monde entier qui vivent sous des législations différentes. Mais ça permet de connecter avec d’autres personnes d’autres pays et de voir que leurs expériences devraient être reconnues dans la loi ou que ces différentes formes d’inégalités entre les genres sont encore omniprésentes en 2023. Mon Dieu, répétons-le, en 2023.
00:11:11 Andrea
Que suggérez-vous à une personne qui vit de la haine et du harcèlement liés au genre en ligne pour tenter de se protéger dans les espaces numériques?
00:11:17 Emma
Vous savez, pour les personnes qui ne veulent pas avoir une grande plateforme ou quelque chose, je pense que les médias sociaux sont et devraient être un espace où elles se sentent libres d’être elles-mêmes, où elles s’amusent, où elles connectent avec les autres. Je pense que c’est la base des médias sociaux. Donc, si ça implique la présence de personnes violentes et d’agresseurs, la première chose à faire est bien sûr de signaler et de bloquer l’utilisateur. C’est ce qu’on fait.
Mais il y a aussi le fait que cette misogynie en ligne peut parfois créer une menace dans la vie réelle. Alors, bien sûr, il y a des mesures à prendre, si on est au secondaire ou à l’université, pour signaler le problème à la direction et aux personnes responsables. Mais nous savons aussi que ce n’est pas toujours pris au sérieux parce que « ce n’est pas physique, ce n’est pas réel ». Il faut juste en parler avec les gens, voir qu’on n’est pas seul.es et même aller voir la police si on en arrive là. Tendre la main à d’autres personnes est toujours une bonne idée. Mais aussi, si vous en êtes témoin, il faut absolument réagir, et pas d’une manière qui menace votre sécurité physique ou… Exactement. Oui, c’est vrai. Il faut être prudent.e, mais je pense qu’il est très important que les personnes prennent position et disent, « Vous savez quoi, ce n’est pas correct », ou dénoncent ces personnes, mais n’y prennent pas part, évidemment.
00:12:45 Floli
C’est tellement important que les témoins soient actifs, et pas seulement passifs. Que ce soit dans le monde physique, quand on parle de harcèlement dans la rue, c’est important d’intervenir. C’est la même chose pour le monde en ligne.
00:13:02 Andrea
En parlant de l’intervention des témoins, que pensez-vous du rôle des hommes et des garçons dans la sécurisation des espaces numériques?
00:13:09 Floli
Oui, c’est très important. En fait, je pense qu’il faut inclure les hommes dans la discussion parce que, souvent, nous pensons par exemple, dans le cas de la violence sexuelle, de la violence conjugale, qu’il s’agit d’un problème de femmes. Or, quand on regarde les coupables, ce sont en fait des hommes qui commettent cette forme d’abus. De la même manière, nous constatons que dans le cas de la haine en ligne, les principaux responsables sont des hommes et je pense qu’il ne s’agit pas d’un problème de femmes. Je pense qu’il s’agit d’un problème lié au fait que les hommes occupent une certaine position dans la société et qu’ils décident… parce que nous savons qu’il y a beaucoup d‘hommes bons, c’est une minorité d‘hommes qui commettent ces gestes, mais les hommes bons, je pense, devraient être en mesure de dénoncer quand ils voient quelque chose ou quand ils lisent quelque chose en ligne. Leur voix est tellement importante parce que les femmes ne peuvent pas porter le fardeau toutes seules et, malheureusement, on n’a pas le même impact que les hommes peuvent avoir sur leurs collègues ou leurs amis.
00:14:02 Emma
Oui, c’est tellement vrai.
00:14:05 Floli
Les normes et les idéaux par rapport à ce que ça signifie d’être un homme. On associe la masculinité à la force et au leadership, et je pense qu’il faut redéfinir ce qu’est la force en réalité. Est-ce que c’est seulement le poids qu’on peut soulever au gym? Non, en fait, je pense qu’une grande partie de la force, c’est avoir le courage émotionnel de dénoncer les injustices lorsque nous voyons… on parle de tous ces différents types d’hommes qui sont des leaders dans leur domaine. Je pense qu’il s’agit aussi de redéfinir ce que signifie être un leader. Un leader ne doit pas juste rester passif quand il est témoin d’injustices. Je pense qu’il s’agit de redéfinir ce que signifie être un homme. Les hommes qui restent, malheureusement, dans le carcan du patriarcat, cette façon standardisée et idéalisée d’être un homme, non seulement en souffrent, mais pourraient également ressentir les bénéfices d’évoluer en tant qu’homme. Et de redéfinir ce que signifie être un homme.
00:15:02 Emma
Ça ne m’affecte pas personnellement, alors pourquoi devrais-je faire quelque chose? Ça démontre simplement les valeurs d’une personne et le fait que nous vivons en société. Nous devons nous préoccuper des autres. Je ne veux pas revenir à l’idée qu’on ne sait jamais quand on aura besoin de quelqu’un, parce que ça devrait être un acte altruiste. Mais si vous étiez dans cette situation, et je vais citer un philosophe, John Rawls, il a créé le concept de voile d’ignorance, c’est-à-dire qu’il faut être capable de s’imaginer être dans cette situation… Et si vous n’aviez pas les privilèges que vous avez, si vous n’étiez pas dans la situation dans laquelle vous êtes ? Comment voudriez-vous que quelqu’un d’autre agisse envers vous?
00:15:46 Floli
Vous savez, certains des commentaires les plus misogynes que nous recevons proviennent en fait de pères qui, quand nous cliquons sur leur profil, ont cinq belles filles, une femme avec laquelle ils sont mariés depuis 20 ans. Est-ce que cet homme, lorsqu’il est avec certains de ses copains, est-ce qu’ils font les mêmes blagues misogynes que lui ? Et si c’était votre fille qui était traitée de la sorte ? Si c’était votre femme qui était traitée comme ça ou votre sœur ? Malheureusement, je ne pense pas que nous ayons besoin que les gens se sentent directement concernés pour participer au changement, mais je pense que c’est un bon moyen, concrètement, de réfléchir à si ça devait arriver à quelqu’un que vous aimez et qui est proche de vous, le toléreriez-vous ? L’accepteriez-vous ? Et voudriez-vous que d’autres hommes interviennent également et disent que ce n’est pas acceptable. Vous savez, voir que certains de ces hommes ont des filles, des femmes, ça fend le cœur, et nous ne pouvons probablement pas imaginer ce qui se passe en privé.
00:16:45 Andrea
Je pense juste au genre de commentaires nocifs que certaines de vos vidéos doivent recevoir. J’imagine que ça fait partie du domaine de la masculinité toxique grossière et bruyante.
00:16:55 Emma
La gamme des sujets abordés est très large. Nous sommes des activistes – nous parlons de justice sociale et de droits des femmes. Il s’agit donc principalement de cela, mais nous voyons des commentaires sur presque tout, je veux dire que je ne pense pas qu’on ait jamais eu une vidéo où il n’y a pas eu un commentaire haineux, des commentaires haineux ou misogynes en ligne. Honnêtement, j’allais dire que c’était rare, mais je pense que ce n’est jamais arrivé. Par exemple, nous avons ces vidéos – surtout, je dois le dire, quand nous traitons de sujets liés aux relations. Nous parlons parfois de relations équitables et de la manière d’être un bon copain, par exemple, ou de comment ne pas perpétuer la misogynie dans sa relation. Par exemple, nous avons récemment publié une vidéo sur ce qu’on appelle le point du mari, qui est pratiqué après l’accouchement. Le mari plaisante sur le fait que sa femme pourrait être recousue pour être plus étroite, ce qui est tout simplement horrible. Et c’est quelque chose qui arrive vraiment, mais les gens aussi tournent ça à la blague, alors nous trouvions ça aberrant et nous avons donc publié cette vidéo et de nombreux hommes, pères et maris, comme le disait Flo, sont entrés en contact avec nous pour nous dire : « Vous n’avez pas le sens de l’humour ou les gens se divorcent à cause de femmes comme vous qui ne savent pas rire », et propagent ces…
00:18:10 Floli
… ces idéologies qui sont dangereuses, selon moi.
Je pense, comme le disait Emma, que nous sommes ciblées principalement parce que nous discutons des inégalités entre les genres et ça nous rappelle pourquoi nous avons encore besoin du féminisme aujourd’hui. Et je pense que c’est en grande partie pourquoi nous sommes si investies dans The Sis. Ça démontre que toutes ces inégalités existent encore. Pour être honnête, j’essaie de me demander s’il y a une publication en particulier. Il y en a toujours. Ils sont omniprésents et, malheureusement, je suppose que c’est surtout des hommes. Oui, quelques femmes malheureusement prennent [Emma : surtout des hommes cis, oui] – oui, surtout des hommes cis et des femmes blanches cis, je suppose, qui adhèrent à ces idéologies. Mais quand on regarde les hommes cis, ils sont de tous les âges, qu’ils aient 8 ans ou 70 ans. Ça vient de partout…
00:19:12 Emma
… de toutes les générations. Et c’est choquant de voir qu’il y a aussi beaucoup de jeunes garçons, vraiment très jeunes, qui disent des choses horribles. Je ne vais même pas les répéter parce que c’est vraiment très dérangeant et qu’ils sont tellement jeunes. Ça nous ramène au fait que nous devons commencer à les sensibiliser très tôt dans l’enfance, pour briser ces stéréotypes, pour briser ces rôles qu’ils ont dans la tête, que les femmes font ci, et que les hommes font ça. Je pense que tout ça est très important.
00:19:44 Andrea
Le contenu sur les relations amoureuses saines semble donc déclencher des réactions particulièrement négatives sur vos comptes. Dans le même ordre d’idées, on parle souvent de comportements en ligne préjudiciables sur des plateformes comme Instagram et Facebook, mais je suis curieuse de vous entendre sur la violence et le harcèlement genrés sur les applis de rencontres.
00:20:01 Emma
Les sites de rencontres ont pour but de vous aider à trouver quelqu’un de compatible, bien sûr, mais aussi de gagner de l’argent, n’est-ce pas ? Leur priorité n’est donc pas nécessairement de créer un espace sûr. Oui, il y a, par exemple, Bumble, où je pense que les femmes doivent écrire en premier. Quand même, c’est un pas en avant, mais ça ne crée pas nécessairement des espaces sécuritaires parce qu’une fois que vous êtes en contact avec l’autre personne, le champ est libre. Quelqu’un peut simplement vous harceler, puis il est signalé, son compte est supprimé. Le lendemain, il crée un nouveau compte comme si de rien n’était. Il n’y a pas de suivi, pas de mesures concrètes pour éliminer ces agresseurs de ces sites. C’est très facile de voir les gens comme des objets, parce qu’on ne fait que passer d’une personne à l’autre. Il y a donc aussi ce sentiment qu’on ne parle pas à un véritable être humain, alors la haine et la violence viennent beaucoup plus facilement. Ce n’est qu’une image. Elles sont juste là. Je peux écrire n’importe quoi et ensuite supprimer le match.
00:21:03 Floli
Et la façon dont on peut établir un lien entre les applis de rencontres et la haine en ligne, c’est qu‘on sait ce qui se passe quand les femmes et les filles disent non, souvent leurs limites ne sont tout simplement pas respectées. Ce qui se passe lorsqu’elles disent non, que ce soit quand elles entrent en contact avec leurs partenaires et refusent d’avoir des rapports sexuels ou qu’elles refusent de le rencontrer. Et malheureusement, même si elles les bloquent, ou si elles disent non, ils les retrouveront toujours sur Facebook ou ils leur enverront toujours des textos. C’est simplement pour vous rappeler qu’il reste encore beaucoup à faire pour protéger les femmes et renforcer leur sécurité.
00:21:41 Andrea
Selon vous, qu’est-ce qui doit changer de manière plus large et systémique dans les espaces numériques?
00:21:46 Emma
Les plateformes : TikTok, Instagram, Facebook, tout ça, Twitter, qui s’appelle maintenant « X », je crois, elles ont une responsabilité immense. Et nous avons dit plus tôt que pour nous, les médias sociaux sont… nous essayons de les voir sous un angle positif au moins, mais je sais que pour ces entreprises, c’est surtout, sinon uniquement, une question de capitalisme, bien sûr. Mais elles n’ont toujours pas… comme nous l’avons dit, en tant que leaders ils doivent prendre des mesures. Ils doivent améliorer ces espaces parce que si ça continue comme ça, il n’y aura pas d’amélioration, et je pense que puisque ce sont eux qui créent ces espaces, ce sont eux qui doivent aussi les réguler. Ils ne considèrent pas que c’est un problème très important et ils n’investissent pas nécessairement beaucoup d’argent pour financer, par exemple, des équipes dédiées qui examinent tous les jours les cas de harcèlement ou sont chargées de créer de nouveaux algorithmes. Ce n’est tout simplement pas une priorité pour eux. Et je pense que ça devrait l’être.
00:22:52 Floli
La violence en ligne contre les femmes et les filles porte atteinte aux droits et libertés de la personne. Et je pense qu’ils ont une responsabilité en tant que sociétés, en tant que grandes entreprises, de créer une réglementation plus stricte à ce sujet et, comme Emma le disait, de proposer des formations à leurs différentes équipes et d’amplifier les voix des créateurs et créatrices qui sont plus marginalisés, et ce n’est pas, comme Emma l’a dit, une priorité pour eux en ce moment.
00:23:19 Emma
Tout à fait. Et je pense qu’individuellement, encore une fois, nous devons continuer à prendre soin les uns des autres. Je pense que c’est un peu cliché à dire, mais en même temps, il faut, en tant que société, continuer à se soutenir les uns les autres. Et dans ce sens, bien sûr, nous croyons à la liberté d’expression sur les médias sociaux, et nous voulons que les gens puissent exprimer leurs opinions, etc., mais qu’ils le fassent aussi de manière respectueuse. C’est une chose tellement fondamentale, mais il y a tellement de gens qui ne le font pas parce que c’est trop facile. On est derrière notre ordinateur ou notre téléphone portable. Ce n’est même pas nécessaire d’avoir une photo sur son profil, et on peut simplement lancer ces conversations nocives.
Il y a aussi le côté gouvernemental et les lois, et je sais qu’au Canada, nous avons des lois sur la cyberviolence. En théorie, bien sûr, c’est bien, c’est génial, et ça englobe le partage de photos intimes et tout ça, mais les gens ont toujours l’impression que c’est tellement vague.
Les grandes plateformes doivent donc faire quelque chose. Les lois doivent être un peu plus accessibles. Dans la vie de tous les jours, les gens doivent continuer à être des témoins actifs, etc. Lorsque nous abordons ces questions en ligne, quand nous en parlons et que nous en discutons dans les espaces publics, les conversations se multiplient et ça continue de faire avancer les choses. Je pense que c’est aussi pourquoi nous avons notre plateforme.
00:24:49 Floli
Nous sommes très reconnaissantes d’être ici aujourd’hui et de pouvoir en parler avec vous parce que, oui, d’après notre propre expérience, c’est terrible ce que nous recevons. Les dommages causés par la violence fondée sur le genre en ligne sont graves, mais je pense que c’est aussi… c’est juste un rappel de l’importance d’avoir cette discussion parce qu’il ne s’agit pas seulement de ce qui se passe en ligne. Ça nous ramène à la violence fondée sur le genre. La violence en ligne n’est qu’une partie de ce spectre de violence qui existe toujours. La violence en ligne pose le problème de l’autocensure des femmes, ce qui limite constamment leur capacité à être libres et à vivre à l’abri de la violence. Je pense que notre discussion d’aujourd’hui est très importante, car elle nous rappelle que les femmes et les jeunes filles ne sont toujours pas à l’abri de la violence.
00:25:46 Andrea
« Alright, now what? »
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Cette série de balados a été rendue possible en partie grâce au gouvernement du Canada.
Ce projet est financé en partie par le Gouvernment du Canada.
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